Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain ... (Pierre de Ronsard)

Formée de plusieurs comtés, la Champagne carolingienne tombe aux mains de la famille de Vermandois au début du Xe siècle avec Herbert II.

Origines du comté de Champagne

 

Le nom de Campania apparaît au VIe siècle pour désigner la plaine de craie qui s'étend depuis l'Aisne au nord jusqu'à la forêt d'Othe au sud. La Champagne est divisée en plusieurs cités ou diocèses que se partagent les héritiers de Clovis. Unies entre 511 et 558 sous l'autorité du roi de Reims dans une vaste Austrasie qui englobait aussi Sens et Langres, les villes de Reims, Châlons et Troyes appartiennent ensuite à des royaumes différents. Reims et Châlons se retrouvent à partir de 561 dans une Austrasie dont la capitale est Metz tandis que Troyes rejoint avec Sens, Langres et Meaux une Burgondie centrée sur Chalon-sur-Saône. De cette période datent les liens qui rapprochent Langres et Troyes de la Bourgogne, Reims et Châlons du royaume de France. Entre 575 et le milieu du VIIIe siècle, le duché de Champagne, formation politique imaginée par la reine Brunehaut pour contrer les ambitions de Chilpéric, couvre un vaste territoire qui s'étend au-delà des limites de la Champagne géographique.

 


 

 

Formée de plusieurs comtés, la Champagne carolingienne tombe aux mains de la famille de Vermandois au début du Xe siècle avec Herbert II. Maître des comtés de Vermandois et de Soissons ainsi que des abbayes de Saint-Quentin et de Saint-Médard, Herbert II agrandit ce patrimoine familial des comtés de Meaux et de Laon tandis qu'il obtient pour son fils l'archevêché de Reims. A sa mort (943), ses enfants se partagent puis agrandissent les possessions. Liégeard, la fille aînée, obtient Provins. Herbert le Vieux, comte d'Omois et abbé laïque de Saint-Médard de Soissons, devient maître de Vitry et obtient la charge de comte du Palais, origine du titre de comte palatin que porteront plus tard les comtes de Champagne. Robert, comte de Meaux, devient par son mariage comte de Troyes, quant au cadet, Albert, il obtient le comté de Vermandois.

Lorsqu'Herbert le Vieux meurt, vers 980-984, son héritage est partagé entre ses deux neveux : Herbert le Jeune, fils de Robert, reçoit Epernay, Vertus, Châlons et Vitry ; Eudes Ier, fils de Liégeard et du comte de Blois Thibaud le Tricheur, recueille le comté de Reims, celui de Château-Thierry ainsi que l'abbaye de Saint-Médard de Soissons. En 1022, l'union des territoires bléso-champenois est réalisée par Eudes II mais celui-ci doit abandonner la réalité du pouvoir sur Reims à l'archevêque. Ses successeurs seront contraints de faire des concessions identiques aux évêques de Châlons et de Meaux. Dès lors, les citées de Reims et de Châlons deviennent les principales soutiens du roi de France dans cette région.

A la mort du comte Thibaut Ier, ses fils Etienne-Henri, Eudes et Hugues se partagent les possessions paternelles. Hugues, qui reçoit Troyes, Bar-sur-Aube, Vitry et Epernay, est le premier à porter le titre de comte de Champagne. Devenu templier (1125), son neveu, le comte de Blois Thibaut IV, réalise une dernière fois l'unité territoriale des pays du Val de Loire, de Champagne et de Brie. Lorsqu'il disparaît en 1152, son fils aîné, Henri le Libéral, sépare définitivement les territoires ligériens de la Champagne, laissant à ses frères Thibaut V et Etienne Ier les comtés de Blois et de Sancerre devenus économiquement secondaires avec le développement des rendez-vous commerciaux de Troyes, Provins, Lagny et Bar-sur-Aube.

Le comté de Champagne comprend vingt-six châtellenies-prévôtés tenues en fief de l'empereur, du roi de France, du duc de Bourgogne, de l'abbé de Saint-Denis, des archevêques de Reims et de Sens et des évêques de Châlons et de Langres. Il s'agit des châtellenies de Meaux, Provins, Sézanne, Château-Thierry, Troyes, Saint-Florentin, Châtillon, Epernay, Vertus, Vitry, Bray, Montereau, Bar-sur-Aube, La Ferté-sur-Aube, Ervy-le-Châtel, Payns, Rosnay L'Hôpital, Bussy-le-Château, Oulchy, Chantemerle, Montfélix, Pont-sur-Seine, Méry-sur-Seine, Coulommiers, Villemaur et Mareuil-sur-Aÿ. A la fin du XIIe siècle, le comté de Champagne s'agrandit de la châtellenie de Nogent-sur-Seine et, en septembre 1220, de celle de Sainte-Menehould. Les liens vassaliques à l'intérieur de ces différents territoires nous sont connus grâce au Rôle des fiefs du comté, rédigés entre 1172 et 1222 et premiers témoignages de la centralisation de l'administration comtale.

Les comtes de Champagne

Fief parmi les plus puissants du royaume de France, le comté de Champagne fut au cœur des principaux échanges politiques, économiques, religieux et culturels des XIIe et XIIIe siècles. En cela, l'histoire de la Champagne se confond souvent avec celle de l'Occident et de l'Orient.

Voie privilégiée de circulation, carrefour entre les pays de la Méditerranée et ceux de la mer du Nord, la Champagne accueille toute l'année à Troyes, Provins, Lagny et Bar-sur-Aube le plus grand marché commercial et financier de l'Occident médiéval. Les Thibaudiens participent, soit avec leur suzerain capétien, soit contre lui, aux principales luttes féodales du Moyen Âge.

Ils encouragent les croisades et favorisent la naissance de l'ordre du Temple. Quand ils ne s'adonnent pas aux-mêmes à la poésie, ils accueillent dans leurs palais les plus grands trouvères et les plus grands intellectuels de leur temps. Grâce à de judicieuses alliances matrimoniales, les comtes protègent leur domaine puis l'agrandissent du prestigieux royaume de Navarre. En 1284, le mariage de la comtesse Jeanne avec l'héritier du trône de France prépare le rattachement définitif à la Couronne qui aura lieu en 1361.

Eudes II le Champenois (1022-1037)

Fils de Eudes Ier et de Berthe de Bourgogne, Eudes II est né en 983. Veuve, Berthe épouse en secondes noces le roi de France Robert II le Pieux qui prend son beau-fils sous sa protection (996). Comte de Blois à la mort de son frère Thibaud (1004), Eudes hérite en 1022 des comtés champenois, tombés en déshérence à la mort de son cousin Etienne de Troyes.

Désormais à la tête d'une immense principauté qui s'étend de Tours à la Meuse, de l'Aisne aux pays d'Othe et à la forêt de Chaource, Eudes doit attendre l'accord de son suzerain le roi de France pour entrer définitivement en possession de ses nouvelles terres (1027). En échange de l'investiture, Eudes doit abandonner le comté de Reims, tandis que ses tentatives pour s'emparer de Sens échouent.

A partir de 1032, Eudes II va mobiliser toutes ses forces dans la guerre de succession de Bourgogne. Son oncle, le roi Rodolphe, étant mort sans enfant, Eudes se trouve être son plus proche héritier. Mais l'empereur Conrad II a lui aussi des droits au royaume de Bourgogne, droits qui lui sont confirmés par le testament de Rodolphe. Bénéficiant de l'appui du roi Robert le Pieux, trop heureux de diminuer la puissance impériale, Eudes poursuit son projet et envahit la Bourgogne, s'emparant successivement de Vienne, de Neufchâtel et de Morat. A la mort de Robert II (1031), Eudes rejoint la coalition formée par la reine de France Constance d'Arles contre le nouveau roi Henri Ier. Eudes II doit alors faire face aux forces conjuguées du roi de France et de l'empereur. En 1037, les ennemis de Conrad II, dirigés par l'archevêque de Milan, promettent à Eudes la couronne des rois lombards ainsi que celle de l'Empire.

Dirigeant son armée vers la Lorraine, Eudes prend Bar-le-Duc mais se heurte à une armée commandée par le duc des deux Lorraines, Gothelon. Le 15 novembre 1037, il est battu dans la plaine d'Honol, entre Bar et Verdun. Tué lors de la bataille, son cadavre reste sur le terrain. Relevé par Richard de Saint-Vanne et Roger, évêque de Châlons, il est transporté en Touraine et inhumé dans l'abbaye familiale de Marmoutier.

Marié tout d'abord à Mathilde de Normandie, Eudes le Champenois se remaria en 1005 avec Ermengarde d'Auvergne qui lui donna deux fils. Thibaud hérita des comtés de Blois, Tours, Chartres, Châteaudun et Sancerre auxquels s'ajoutèrent, en Champagne, Château-Thierry, Provins et Saint-Florentin. Etienne reçut pour sa part les comtés champenois de Troyes, Meaux et Vitry ainsi que l'abbaye Saint-Médard de Soissons.

Thibaud Ier (1037-1090)

 

Né en 1019, Thibaud hérite à la mort de son père Eudes II en 1037 des comtés de Blois, Tours, Chartres, Châteaudun et Sancerre auxquels s'ajoutent, en Champagne, Château-Thierry, Provins et Saint-Florentin. Son frère Etienne obtient pour sa part les comtés champenois de Troyes, Meaux et Vitry ainsi que l'abbaye Saint-Médard de Soissons.

Les débuts de son règne sont marqués par la participation de Thibaud et d'Etienne à la rébellion menée par Raoul de Crépy et Galeran de Meulan contre le roi de France (1041-1044). Henri 1er ayant reçu l'aide du comte Geoffroy d'Anjou, ce dernier, après avoir assiégé Tours, bat les comtes de Blois et de Champagne à Saint-Martin-le-Beau (21 août 1044) et capture Thibaud qu'il enferme dans son château de Loches. Pour prix de sa liberté, Thibaud doit inféoder à Geoffroi d'Anjou toutes ses possessions de Touraine avec la ville de Tours et les châteaux de Chinon et de Langeais. Il résulte de cette paix un glissement vers l'est de la principauté bléso-champenoise dont le centre de gravité se déplace de la Loire vers la Seine.

Vers 1045, Thibaud épouse Gersent, sœur du comte du Maine Hugues IV, qu'il répudie avant 1049. A la mort d'Etienne (1048), Thibaud assure la tutelle de son neveu Eudes III.

Oubliant sa récente défaite, Thibaud reprend sa place parmi les plus fidèles vassaux du roi de France dans la guerre que mène ce dernier contre Guillaume de Normandie. Le 17 avril 1048, Thibaud est à Paris, où il porte le titre de comte palatin. Au Concile de Sens, il accepte la cession à Philippe Ier de Saint-Médard de Soissons.

En 1058, Eudes III sort de la tutelle de son oncle. Thibaud obtient alors du roi de France qu'Eudes soit son vassal pour les comtés champenois. N'appréciant pas la suzeraineté de son oncle, Eudes III se révolte, puis s'embarque aux côtés de Guillaume de Normandie à la conquête de l'Angleterre en septembre 1066. Thibaud Ier réunit sous son autorité la principauté bléso-champenoise. Il doit alors faire face aux prétentions du comte de Bar-sur-Aube, Raoul de Valois, devenu par son mariage avec la veuve d'Henri Ier, Anne de Kiev, le beau-père du roi de France Philippe Ier.

Thibaud Ier apporte tout au long de son règne son soutien au clergé, adoptant la réforme grégorienne et favorisant l'expansion de l'Ordre de Cluny vers Reims. Fidèle à la tradition familiale, il multiplie les donations pieuses envers l'abbaye tourangelle Saint-Martin de Marmoutier dont la pénétration dans le diocèse de Meaux remonte à cette période.

Thibaud meurt le 29 septembre 1089, âgé de 70 ans. Il est enterré dans la collégiale Saint-Martin d'Epernay. Vers 1060, il avait épousé en secondes noces une fille de Raoul de Valois, Adèle de Bar-sur-Aube. Etienne-Henri, né du premier lit, succède à son père à la tête du comté de Blois tandis que son demi-frère Eudes IV hérite des comtés de Troyes, Vitry et Bar-sur-Aube.

 

Etienne-Henri (1089-1102)

Fils aîné de Thibaud Ier et de Gersent du Mans, Etienne-Henri naît vers 1047. Cité pour la première fois en 1061, il exerce d'abord son activité en Anjou pendant que son père assure son pouvoir en Champagne. En 1084, Etienne-Henri épouse Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant.

En 1077, Etienne-Henri apparaît avec le titre de comte de Champagne dans un acte de Philippe Ier contre lequel il se rebelle en 1088. Emprisonné par le Capétien, Etienne sert ensuite fidèlement le roi, notamment lors de la révolte du comte de Corbeil, Bouchard II.

Dès 1085, Thibaud Ier avait abandonné à Etienne-Henri le gouvernement du comté de Blois. A la mort de leur père en 1089, les enfants nés des deux lits se partagent le patrimoine familial. En sa qualité d'aîné, Etienne conserve les comtés de Chartres, Sancerre et Blois auxquels il ajoute ceux de Meaux, Provins et Saint-Florentin, tandis qu'Eudes IV (1088-1093) puis Hugues (1093-1125) héritent du comté de Troyes. Le dernier frère, Philippe, est élu évêque de Châlons en 1093 et sacré deux ans plus tard.

Le règne d'Etienne-Henri est essentiellement marqué par la Croisade. Parmi les premiers seigneurs à répondre à l'appel d'Urbain II au Concile de Clermont (1095), il quitte Coulommiers l'année suivante en compagnie de son beau-frère, le duc de Normandie Robert Courteheuse, et de son cousin le comte de Flandre Robert II. L'armée rejoint alors Rome mais doit patienter jusqu'en mars 1097 pour embarquer. Etienne-Henri et Robert Courteheuse atteignent Constantinople en mai, rejoignent Nicée en juin et arrivent devant Antioche en octobre. Mais le siège traîne en longueur et Etienne-Henri décide de rentrer le 2 juin 1098, deux jours avant la chute de la ville. Son retour en Occident est considéré comme un acte de lâcheté. Ecoutant les conseils de sa femme, il reprend la route de la Terre Sainte en 1100 à la tête d'un petit contingent composé des évêques de Laon et de Soissons, des comtes de Bourgogne, de Toulouse et de Mâcon et de quelques seigneurs champenois. Il participe à la prise de Tortose en février 1102, rejoint le roi Baudouin Ier à Beyrouth et arrive à Jérusalem pour Pâques. Il est tué le 19 mai suivant au cours de la bataille de Ramalah. La nouvelle de sa mort ne fut connue en Occident qu'en novembre 1103. Adèle de Normandie, qui gouvernait le comté de Blois depuis 1096, assure la régence de son fils Thibaut jusqu'en 1101.

Hugues de Champagne (1093-1125)

Né aux environs de 1074, Hugues est le troisième fils de Thibaud Ier et d'Adèle de Valois. En 1089, son demi-frère Etienne-Henri succède à Thibaud Ier à la tête des comtés de Blois et de Meaux. Quatre années plus tard, le 1er janvier 1093, Hugues hérite de son autre frère Eudes IV des comtés de Troyes, Vitry et Bar-sur-Aube. Hugues, premier à prendre officiellement le titre de comte de Champagne, est aussi le premier à s'installer à Troyes.

En 1093, Hugues épouse Constance de France, fille du roi Philippe Ier, union qui sera annulée à la Noël 1105, le couple n'ayant pas eu d'enfant. En 1104, il est victime d'un attentat. Il part ensuite trois années pour un premier séjour en Palestine (1104-1107). Revenu en Champagne, Hugues se remarie avec une très jeune fille, Elisabeth de Varais, fille d'Etienne le Hardi et nièce de Mathilde duchesse de Bourgogne. Bientôt cependant il cherche à la répudier, au point que la comtesse doit demander l'aide de l'évêque de Chartres, Yves, pour que celui-ci fasse comprendre au comte qu'un mari ne peut se séparer de sa femme sans le consentement de celle-ci, même pour entrer en religion. En août 1114, Hugues de Champagne accomplit un nouveau voyage outremer en compagnie de son vassal Hugues, seigneur de Payns, qui s'établira à Jérusalem et fondera en 1118 l'Ordre du Temple.

De retour en 1116, le comte gouverne encore sa principauté pendant une dizaine d'années, favorisant l'expansion de la toute nouvelle abbaye de Clairvaux fondée par saint Bernard en 1115, et reportant son affection sur son neveu, Thibaut de Blois, qu'il considère comme son héritier.

Mais voici qu'en 1123, Elisabeth de Varais donne naissance à un fils prénommé Eudes. L'enfant n'a que deux ans lorsque Hugues prend prétexte d'une dispute avec son épouse pour se faire déclarer incapable de procréer par les médecins. S'estimant désormais libéré des liens du mariage, il chasse Elisabeth et Eudes, transmet son héritage à Thibaut de Blois et rejoint l'Ordre du Temple en Terre Sainte. Sous le règne de Thibaud II, Eudes de Champlitte réclamera en vain l'héritage paternel.

 

 

Thibaud II (1125-1152)

Fils aîné d'Etienne-Henri, comte de Blois et de Meaux, et d'Adèle de Normandie, fille de Guillaume le Conquérant, Thibaud est né en 1093. A son avènement, en 1102, la tutelle de ses comtés de Blois et de Chartres est assurée par sa mère. Adoubé en 1107, Thibaud gouverne personnellement son domaine à partir de 1109, même s'il demeure sous l'influence d'Adèle de Normandie jusqu'à l'entrée de celle-ci au prieuré clunisien de Marcigny en 1122.

En 1125, Thibaud II hérite de son oncle Hugues du comté de Champagne et refait, un siècle après Eudes II, mais pour la dernière fois, l'union de tous les territoires familiaux : ses possessions s'étendent de la Marne à la Loire et menacent à l'Ouest et à l'Est le domaine royal. Plus anglo-normand que français, Thibaud apporte son soutien à Henri Ier Beauclerc contre Louis VI le Gros. En 1120, le naufrage de la Blanche-Nef, dans lequel meurent les deux fils du roi d'Angleterre, fait de lui le plus proche héritier mâle de la couronne d'Angleterre. Cependant, après une vingtaine d'années passées à guerroyer contre le Capétien pour son comté de Blois, Thibaud s'assagit. Jaloux de son autonomie, il continue de se méfier du roi de France. S'il est le premier à venir le secourir contre l'empereur germanique en 1124 ou bien à soutenir la seconde croisade en y envoyant son fils aîné, le comte de Champagne sait que seule la guerre permet de maintenir l'équilibre entre ses principautés. A la mort d'Henri Ier Beauclerc, en décembre 1135, les barons anglais élisent son frère cadet Etienne de Blois comme nouveau roi d'Angleterre, choix auquel se rallie Thibaud qui finit par assister son frère.


En 1141, Thibaud II doit faire face aux inquiétudes de Louis VII envers la puissance de son vassal. Deux affaires graves détériorent les relations entre les deux hommes. La première concerne le choix pour le siège archiépiscopal de Bourges de Pierre de La Châtre par Innocent II, choix qui s'est fait au détriment du candidat de Louis VII, Cadurc, chapelain du roi. Le pape sacre son évêque qui se voit interdire l'entrée de sa cité par le Capétien. Pierre de La Châtre, à l'invitation de Thibaud II, trouve alors refuge en Champagne. A ce litige vient s'ajouter le problème posé par le remariage du sénéchal Raoul de Vermandois avec Alix, sœur de la reine Aliénor d'Aquitaine. Un synode d'évêques prononce le divorce de Raoul et de sa première femme Eléonore, nièce de Thibaud II, pour cause de parenté. Le comte de Champagne fait appel au pape qui excommunie Raoul, Alix et les évêques qui ont prononcé le divorce tandis que l'interdit est jeté sur le royaume de France. Louis VII, irrité par l'attitude de son vassal, prend comme prétexte la majorité du fils contesté d'Hugues, Eudes de Champlitte, pour réclamer en son nom l'héritage comtal. Le roi envahit alors la Champagne et met le siège devant Vitry qu'il brûle en janvier 1143. Louis VII, marqué par cet épisode tragique dans lequel périt une grande partie de la population de la ville, prendra la croix en mars 1146.

Devenu l'ami de saint Bernard, Thibaud II favorise le développement de l'abbaye de Clairvaux ainsi que celles de Pontigny et de Trois-Fontaines tandis qu'il multiplie dans son comté les fondations pieuses.

Sous son règne se développent les foires de Champagne, dont les premières mentions remontent au XIe siècle, tandis que le comte frappe un monnayage de bon aloi, le denier provinois, bientôt imité par le sénat romain et le pape.

De son mariage avec Mathilde de Carinthie en 1123 naissent plusieurs enfants. Ainsi, lorsqu'il meurt à Lagny le 10 janvier 1152, sa succession est prête : son aîné Henri le Libéral devient comte de Troyes et hérite des possessions champenoises, Thibaud et Etienne se partagent les comtés de Blois, Chartres, Châteaudun et Sancerre tandis que le cadet, Guillaume-aux-Blanches-Mains, destiné à la carrière ecclésiastique, deviendra archevêque de Sens puis de Reims. Une fille, Adèle, épousera Louis VII et donnera naissance à Philippe Auguste.

 

  

Henri le Libéral (1152-1181)

Fils aîné de Thibaud II et de Mathilde de Carinthie, Henri de Champagne naît au château de Vitry en décembre 1127. Il reçoit une éducation militaire et scolaire soignée. Participant aux côtés de Louis VII à la deuxième croisade (1147-1149), il est armé chevalier par l'empereur Manuel Comnène. Le jeune prince se distingue lors du combat du Méandre où sa charge, conjuguée à celle du comte de Flandre Thierry et de Guillaume de Mâcon, permet à Louis VII de disperser les Turcs campés sur la berge méridionale du fleuve. Le 24 juin 1148, il assiste à Acre aux Assises de la Croisade aux côtés de son suzerain et de Conrad III.

A son retour de Terre Sainte, il reçoit une part de l'héritage de son père qui lui confie les seigneuries de Vitry et de Bar-sur-Aube puis, à la mort de Thibaud II, en 1152, il reçoit le comté de Champagne, tandis que son frère Thibaud hérite du comté de Blois. Fruit de ses bonnes relations avec le roi de France Louis VII, il épouse la fille de celui-ci et d'Aliénor d'Aquitaine, Marie, sans doute en 1159.

Durant son règne, Henri mena une politique équilibrée, cherchant constamment à jouer un rôle de médiateur dans les conflits qui opposaient son suzerain principal, Louis VII, à l'empereur Frédéric Barberousse, au roi d'Angleterre Henri II Plantagenêt ou au pape Alexandre III, dans le conflit entre l'abbé de Vézelay et le comte de Nevers (1165-1166), ou encore lorsque Philippe Auguste eut la tentation d'entrer en guerre contre Frédéric Barberousse aux côtés d'Henri II (1181). De ce fait, il s'inscrit parfaitement dans une époque où se mettent en place règles et institutions destinées à résoudre les conflits pacifiquement plutôt que par la force. Mais Henri le Libéral semble aussi avoir joué de sa situation de vassal de plusieurs suzerains rivaux (notamment le roi de France et l'empereur) pour conserver ou affermir son autonomie politique.

En définissant le calendrier des six grandes foires du comté, Henri favorisa le développement économique de la Champagne, qui devint pour un temps la première région commerciale d'Occident. Son extrême générosité envers les établissements ecclésiastiques lui valut son surnom de " Libéral " : dotant richement chapitres et abbayes, leur offrant de magnifiques présents, Henri le Libéral fonda les collégiales Saint-Etienne de Troyes (future nécropole des comtes), Saint-Maclou de Bar-sur-Aube et Saint-Nicolas de Sézanne. Henri Ier obéissait certes à un devoir chrétien. Mais il visait sans doute aussi à asseoir son pouvoir par l'éclat de ses donations et le luxe des œuvres qu'il commandait.

 

 

Réputé pour sa mesure, sa largesse et sa puissance, amateur de tournois, Henri le Libéral était aussi un lettré, qui savait le latin et le lisait pour le plaisir. Sa bibliothèque ne dénote aucune curiosité pour les œuvres en langue vernaculaire ni aucun penchant pour l'invention courtoise. Plus âgé que sa femme de dix-huit ans, il collectionnait plutôt les livres d'histoire, Valère Maxime, Quinte-Curce, les traités de morale, les commentaires bibliques, Macrobe, saint Augustin.

En 1179, il part en Terre Sainte dans une expédition dont il est le chef. Il s'embarque à Marseille, débarque à Acre en compagnie du comte Pierre de Courtenay, du comte Henri de Grandpré et de l'évêque Philippe de Beauvais, et marche avec le roi de Jérusalem au secours de Tibériade sans pouvoir la délivrer (août). Au retour, il tombe avec ses compagnons aux mains des Turcs en Asie Mineure et ne doit sa liberté qu'à l'intervention de Manuel Comnène. Rentré en France malade, il meurt peu après à Troyes le 16 mars 1181.Son corps est déposé dans le chœur de la collégiale Saint-Etienne qu'il avait fondé à côté de son palais en 1157, sous un somptueux tombeau de cuivre doré, d'émail et d'argent. De son mariage avec Marie, il laisse deux fils, Henri II (1181-1197) qui lui succède ainsi que le futur Thibaud III.

Marie de France (1145-1198)

Fille aînée de Louis VII, roi de France, et d'Aliénor d'Aquitaine, sa première femme, Marie n'a que 14 ans lorsqu'elle épouse le comte Henri le Libéral. C'est en effet en 1159 qu'une charte faisant mention de "Comitissa sponsa mea" désigne Marie comme comtesse de Troyes. Son mari a 18 ans de plus qu'elle. Cette union renforce l'alliance entre la Champagne et le royaume de France, Louis VII épousant de son côté Adèle, sœur du comte de Troyes.

Elevée par Constance de Castille, seconde épouse de Louis VII, Marie de France, comme ses frères et sœurs, tient de sa mère un goût prononcé pour la poésie lyrique et les lettres : Alix, mariée au comte Thibaut V de Blois, eut pour gendre le poète Huon d'Oisy ; Mathilde, femme du duc de Bavière et de Saxe, inspira Bertrand de Born ; Richard Cœur de Lion, enfin, qui composa en personne et qui, captif du duc Léopold d'Autriche à son retour de croisade (1192-1194), écrivit à sa demi-sœur cette complainte pour lui demander son aide :

Contesse suer, vostre pris souverain
Vos saut et gart Cil a cui je m'en clain
Et por cui je suis pris.
Je ne parle mie a celle de Chartrain,
La mere Loeÿs.

Par son union avec le Libéral, Marie se retrouva au cœur de l'une des cours les plus cultivées de son temps dans laquelle circulaient les idées de la seconde moitié du XIIe siècle. Le comte Henri était un grand lettré, appréciant tout particulièrement les auteurs classiques, les historiens et les philosophes. Il aimait discuter avec les théologiens de son époque, Pierre de la Celle, Pierre Comestor, Jean de Salisbury notamment. Sa jeune épouse, de part ses origines maternelles, semble s'être montrée plus attirée par les oeuvres poétiques et romanesques. S'il n'est pas établi avec certitude qu'elle entretint une cour littéraire à Troyes, plusieurs poètes de son époque sont attestés dans son entourage (Gace Brulé, Evrat, Adam de Perseigne, André la Chapelain). Il paraît également établi qu'elle inspira la Matière de Bretagne de Chrétien de Troyes qui lui dédia son Chevalier de la Charrette :

"Del Chevalier de la Charrete
Comance Crestiiens son livre ;
Matiere et san l'an done et livre
La contesse, et il s'antremet
De panser si gueres n'i met
Fors sa painne et s'antancion."

De 1179 à 1181, Marie de Champagne gouverne une première fois le comté de Champagne pour son mari parti en pèlerinage en Terre Sainte. Elle est douloureusement frappée par la mort de celui-ci en mars 1181 alors que leur fils, Henri, n'a que 15 ans. Elle assure alors une première régence (1181-1187), puis une seconde (1190-1198) lorsqu'Henri II part à son tour en Terre Sainte à l'occasion de la troisième croisade et devient roi de Jérusalem. Vers 1181, le comte de Flandre Thierry d'Alsace est présent à Troyes pour demander la main de la comtesse mais l'union ne se réalisa pas.

A la fin de sa vie, Marie de France conserva l'habitude de demander à des écrivains de composer des ouvrages pour elle. C'est ainsi qu'une paraphrase en vers du Psaume 44, Eructavit cor meum, fut composée vers 1187 par son chapelain Adam de Perseigne qu'elle appela à son chevet au moment de mourir. L'auteur y cite la dame de Champagne à plusieurs reprises et fait l'éloge de sa générosité et de sa foi. De même, en 1192, Evrat commence une traduction en vers français de la Genèse à la demande de Marie de France.

L'annonce de la mort d'Henri II, en mars 1198, frappe une nouvelle fois la comtesse. Elle ne survécut à ce drame que quelques mois et mourut à l'âge de 53 ans en février 1198. Elle fut inhumée dans la cathédrale Saint-Etienne de Meaux. Il ne reste rien de sa tombe, détruite par les protestants au XVIe siècle.

Henri II (1181-1197)

Henri II n'a que 15 ans lorsque meurt Henri le Libéral. Sa mère Marie de Champagne assure donc la régence de 1181 à 1187. Son règne est surtout marqué par les efforts du jeune comte pour renforcer, par des alliances avec l'Empire, son indépendance vis à vis du roi de France Philippe Auguste, dont le domaine et l'influence se renforcent.

Après avoir participé à l'assemblée de Vézelay (4 juillet 1190) où se trouvent Richard Cœur de Lion et Philippe Auguste, Henri de Champagne, qui a confié la gestion de son comté à sa mère, gagne Marseille d'où il s'embarque en compagnie de ses oncles, Thibaut, comte de Blois, et Etienne, comte de Sancerre, et parvient devant Acre le 27 juillet 1190. Depuis la défaite des troupes franques contre Saladin à Hattin en 1187, le royaume de Jérusalem est réduit à Tyr et à Beaufort tandis que dans le Nord, les Francs ne tiennent plus que Tripoli, le Crac des Chevaliers, Antioche et Margat. A la suite de la prise d'Acre par Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion (12 juillet 1191), la ville devient la capitale du royaume de Jérusalem. Le roi de France parti, le comte de Champagne participe aux côtés du roi d'Angleterre à la reconquête du littoral palestinien. Le 28 avril 1192, le marquis Conrad de Montferrat, roi de Jérusalem, tombe sous les coups de la secte ismaélienne des Assassins.



30/05/2012
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